une augmentation "raisonnable" du smic


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"Raisonnable" a été l'élément de langage central du gouvernement pour qualifier sa position sur le smic. Et pourtant, elle ne l'est pas, à plus d'un titre.
Le premier est l'arbitrage même qui guide le gouvernement : concilier gains de pouvoir d'achat et compétitivité. Un débat en ces termes oublie la fonction première du salaire minimum. Ce dernier est la valeur minimale du travail que la société croit "juste". Et le "juste", aujourd'hui en France comme en Europe, est que l'on doit pouvoir vivre de son travail sans avoir recours à des revenus complémentaires de solidarité nationale, de la même manière que les agriculteurs demandent des prix agricoles "justes" à la place de subventions européennes.

Cela explique la coexistence entre une insatisfaction salariale majeure, et le fait que tant de travailleurs éligibles ne demandent pas le revenu de solidarité active (RSA) activité. Cela explique aussi l'épidémie de salaire minimum dans la vieille Europe depuis la fin du siècle dernier, avec son entrée en Irlande, au Royaume-Uni, en Autriche, et demain en Allemagne.

D'ABORD SNOBÉ

Pas raisonnable a été également le comportement du gouvernement vis-à-vis du groupe d'experts sur le smic. D'abord snobé, il n'a été consulté que sous la pression du Medef... après que les arbitrages ont été rendus. Il est vrai que son président, interrogé par Le Monde (22 juin), n'a pas eu peur du ridicule en affirmant: "S'il nous avait consultés, nous aurions de toute façon donné un avis négatif. Il était donc inutile que l'on nous demande notre avis."

Mais si un groupe d'experts est inutile, on le supprime ou on le rend utile ! Rappelons que ce dernier, créé par une loi de 2008, est un héritage encombrant en ces temps de doutes sur l'indépendance des économistes. Il est composé certes de cinq personnalités individuellement solides, mais sont-elles représentatives de la pluralité des approches sur la question ?

Aucun d'entre eux n'est issu du monde de l'entreprise ou du travail, deux représentent la Banque de France et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) - deux institutions qui ne cessent d'alerter sur les dangers du smic -, deux sont membres des corps de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et un seul est un universitaire libre de lien hiérarchique.

Pas raisonnable non plus de ne pas trancher le noeud gordien du débat français sur l'impact économique et social du smic. Les différences institutionnelles rendent très difficile l'importation des résultats étrangers. Ce n'est ainsi pas parce que les Belges s'amusent de l'antienne du Fonds monétaire international (FMI) les appelant à revoir leur salaire minimum plus généreux qu'en France - alors que leur économie, une des plus dynamiques depuis le début de la crise, a connu une chute du taux de chômage - qu'il faut clore le débat de ce côté-ci du Quiévrain.

COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE DIVISÉE

Car débat il y a. La communauté scientifique est divisée. Pour l'éclairer, il faut faire des évaluations sur la France d'aujourd'hui. Car celles disponibles sont périmées. On ne peut évaluer l'impact du salaire minimum que dans le cas où les entreprises font face à un véritable "coup de pouce", bien au-delà de l'indexation partielle sur les prix.

S'ajoute donc aux limites techniques de l'exercice - il est difficile de trouver un "groupe de contrôle", un échantillon d'entreprises non concernées à comparer avec d'autres concernées, pour une politique dont les effets dépassent largement les seuls "smicards" - le fait que, depuis quinze ans, les coups de pouce n'ont guère été significatifs, alors qu'intervenaient simultanément des modifications des cotisations sociales ou du temps de travail, ce qui rend l'évaluation des effets de ces augmentations difficile...

Entre-temps, la France a changé. De multiples réformes ont modifié le marché du travail. La désindustrialisation s'est poursuivie.

Quelle qu'en soit la définition, le smicard type travaille dans un secteur de service non délocalisable. Surtout, la population active est largement plus qualifiée, avec l'arrivée de générations issues de la démocratisation scolaire.

Un coup de pouce de 3 % aurait été suffisant pour invalider ou valider les vieilles estimations de l'impact d'une telle hausse, qui suggèrent une moyenne de 10 000 chômeurs supplémentaires par mois pendant un semestre. Les chercheurs auraient pu aussi regarder l'impact sur la dynamique des entreprises, sur la balance commerciale ou sur les inégalités hommes-femmes. Au moins, le groupe des experts aurait eu quelque chose de nouveau à dire.

Pas raisonnable enfin de gérer la question au sein du seul ministère du travail. Le gouvernement est doté d'une ministre de plein exercice aux droits des femmes qui "prépare et met en oeuvre la politique du gouvernement relative (...) à la parité et l'égalité professionnelle". Les smicards étant aujourd'hui des smicardes, une cogestion du dossier par les deux ministres aurait à la fois acté une réalité sociologique... et apporté un peu d'air frais.

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